Un autre matin – Eric Pessan

Ce matin, j’ai posté les épreuves corrigées de mon prochain roman. Au fil des pages, Sophie, la correctrice qui s’est occupée de mon texte, a déniché des fautes d’orthographe, redressé quelques phrases un peu boiteuses, pointé des répétitions ; elle m’a aussi posé des questions qui m’ont permis d’affiner certains éléments de l’intrigue.

Ce travail-là, dans la dentelle, est un délice. J’ai beau avoir publié une trentaine d’ouvrage, j’ai toujours la même appréhension quand je reçois les épreuves à relire : celle du mauvais élève, le cauchemar d’un texte qui serait entièrement rayé de rouge, biffé, raturé, à revoir.

Ce matin, donc, j’ai posté les épreuves corrigées, il n’y avait pas tant de choses à revoir sur le texte. A la fin de l’été, je recevrai un second jeu d’épreuve pour vérifier que toutes les corrections ont bien été reportées et le livre paraîtra en janvier. J’en suis heureux.

Dehors, il pleut. C’est un drôle d’été qui se prépare : gris, froid, humide. Un temps à rester derrière son bureau pour écrire et écrire encore. Sauf que j’arrive littéralement en bout de course. J’ai besoin d’une coupure, j’ai besoin d’un appel d’air.

J’ai déjà parlé sur ce blog de ce que je devais à Geneviève Brisac et ce matin, je pense à Chloé Mary, je pense à la présence discrète et subtile de Chloé. Longtemps, j’ai plaisanté à son sujet parce qu’elle était absente les rares fois où le provincial que je suis passait par les bureaux de l’Ecole des loisirs. Impossible de la rencontrer en chair et en os. Chloé s’incarnait dans des mails qui prenaient de mes nouvelles, qui m’interrogeaient sur mes projets, qui me parlaient avec intelligence et sensibilité des textes que j’écris. Puis, les messages sont devenus une voix dans mon téléphone, avec toujours ce mélange de présence et de discrétion. Une présence amicale, attentive ; une présence comme un encouragement. Il faut exercer ce drôle de métier solitaire d’écrivain pour connaitre la valeur de ce que peuvent apporter ces encouragements-là. Alors ce matin, j’ai juste envie de te remercier, Chloé.

Ce texte est le deuxième post d’Eric Pessan sur le blog.

De l’inédit – Elisabeth Motsch

Autant que je sache, ça ne s’est jamais vu, en France, que des dizaines d’auteur(e)s d’une même maison d’édition s’expriment publiquement pour soutenir leur éditrice et s’insurger contre les méthodes patronales.

Je voudrais dire ici mon admiration devant l’énergie et le courage des premiers auteur(e)s qui ont dénoncé, dans la presse et sur le blog, les pratiques de la direction d’EDL et, par la même occasion, ont mis en péril leur propre avenir dans cette maison.

Geneviève nous a tous aidés, d’une façon ou d’une autre, et il était pour le moins normal d’être choqué par la façon dont elle a été traitée, normal aussi de la remercier pour tout ce qu’elle a fait. Mais tout aussi choquant fut la désinvolture avec laquelle des auteurs furent traités. Maltraités.

Nous sommes dans la nouvelle économie! On garde les vieilles habitudes et on exploite mieux. On est sympa, on se tutoie, tu plais, et du jour au lendemain, tu dégages.

Bien sûr, nous aimons notre travail, personne ne nous oblige à écrire. Mais au fait, que serait l’édition sans les auteurs, les créateurs?

Nous sommes des travailleurs, comme l’a rappelé Camille Laurens, mais pour nous, ni CDI, ni CDD, ni minimum horaire, ni SMIC, etc. Nous ne sommes même pas des intermittents. On nous prend, on nous jette. Sauf si on vend beaucoup. C’est la seule exigence. Le commerce.

Jusque là on était bien accueilli à l’Ecole des loisirs, on était effectivement dans une « famille ». Maintenant, si j’ai bien compris, il s’agit de plaire aux jeunes lecteurs et de vendre. Faisons un référendum -c’est l’époque- sur les choix spontanés de nos chers petits. Parions qu’il y aura du bon… et beaucoup de moins bon! Une petite initiation à la littérature, ce ne serait pas de trop, non? Une école, ça sert à quoi?

Je reviens à mon point de départ. Oui, je trouve très important et nouveau cette réaction collective. Je repense à ce film, Dalton Trumbo, où l’on voit comment des écrivains ont été blacklistés durant le maccarthysme et surtout les différentes réactions à cette chasse aux sorcières. Même avec le recul du temps, la gravité des circonstances, ça donne à méditer sur l’être humain, sa capacité à agir dans certaines situations, à s’engager pour défendre son voisin ou à balancer des discours généreux tout en gardant sa place au chaud.

J’entends aussi des arguments du type: Vous mettez la maison en péril. D’abord je pense qu’elle a des réserves, cette maison. Le fonds, on y a contribué! Ensuite et surtout : qui a créé tout ce désordre? Qui met en péril les emplois à l’EDL si ce n’est une direction qui chamboule un système qui fonctionnait et qui avait la réputation d’être exigeant sur la qualité? Qui a cru bon de jeter aux orties le travail d’une éditrice de premier ordre? Et puis, il y a peut-être du management à revoir? Il me semble que ce serait la première chose à examiner s’il y a des baisses de vente. Les dirigeants sont-ils de bons dirigeants?

Elisabeth Motsch

Elisabeth Motsch a publié de nombreux livres à l’Ecole des loisirs. Elle a aussi publié de la littérature pour les adultes chez Grasset et Actes sud. Elle va publier un livre chez Actes sud junior à la rentrée 2016.

Ce post est son deuxième sur La ficelle.

Ce matin – Eric Pessan

Ce matin, je reçois les épreuves d’un texte qui paraitra en début d’année prochaine à l’Ecole des loisirs. Les corrections sont précises, méticuleuses, elles donnent à réfléchir, elles permettront sans aucun doute de préciser le texte, de l’acérer.

Ce matin, je suis heureux de replonger dans ce texte, écrit au tout début de l’automne, une histoire simple et compliquée d’amitié, de tristesse, de douleur et de prise de risque.

Ce matin, je repense à mon état d’esprit lorsque j’ai écrit ce texte-là, j’ai l’impression qu’il a été écrit voici plusieurs années, il s’est passé tant de choses depuis, une année scolaire dure, éprouvante, où l’air lui-même s’est raréfié.

Ce matin, je repense à Geneviève Brisac, à son message le 14 novembre dernier, au lendemain des attentats, à ce qu’elle m’a dit du besoin qu’il y a d’écrire des histoires dans un monde aussi fragile. Des bougies brûlaient aux fenêtres de ma maison, nous avions discuté, tard, de la nécessité de préserver la joie. Je me souviens lui avoir raconté que – demain – j’irai acheter des croissants pour mes enfants, simplement parce que l’ordinaire est une barrière contre la barbarie. Sans doute aurais-je dû la remercier de m’avoir donné envie d’écrire pour la jeunesse. Par pudeur, par distraction on oublie de dire un tas de choses. J’aurais dû la remercier d’avoir inventé cette collection de romans pour enfants et ados, cet endroit où la littérature jeunesse était prise très au sérieux, où des amis auteurs publiaient déjà depuis longtemps, où l’on ne bradait rien : ni la langue, ni l’exigence, ni sa propre recherche littéraire.

Ce matin, je replonge dans mon texte et je te remercie enfin, Geneviève.

Eric Pessan est né en 1970 à Bordeaux, il vit dans le vignoble nantais. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages : romans, théâtre, jeunesse, essais, poésie. Il est membre du comité de rédaction de Remue.net et de la revue Espace(s) du Centre National d’Etudes Spatiales. Il a publié trois romans à l’Ecole des loisirs, ainsi qu’une pièce de théâtre.

Dans les terriers – Christian Garcin

Je suis redevable à Geneviève Brisac d’une de mes plus grandes joies d’auteur. Grâce à elle j’ai pu réaliser un rêve d’enfant : mettre en scène des animaux, leur donner la parole, les livrer à des problématiques humaines tout en conservant leurs propriétés animales ‒ le tout s’inscrivant dans la continuité des autres livres que j’avais déjà publiés ailleurs. Je pense que sans Geneviève je ne m’y serais jamais senti autorisé. C’est un peu ridicule à dire, mais c’est ainsi : je n’aurais sans doute pas osé. Sans elle, sans son humour, sa bienveillance et la finesse de son regard, ces trois livres que j’ai publiés à l’Ecole des Loisirs n’auraient jamais vu le jour. Le fait d’avoir cette liberté formidable ‒ dont bien entendu je disposais avant que, grâce à Geneviève, je me permette de la saisir à pleines mains, mais, simplement, je ne le savais pas ‒, le fait d’avoir enfin cette liberté formidable d’écrire des histoires peuplées d’animaux qui parlent, selon mes propres principes narratifs et avec mes propres outils stylistiques, m’a procuré un plaisir inouï, inégalé. Je le dis souvent lors de rencontres publiques où il est question de mes autres livres, et où il est fait référence, parfois, aux trois qui sont parus à L’Ecole des Loisirs : ils figurent parmi ceux, de la quarantaine que j’ai publiés toutes catégories confondues, auxquels je suis le plus attaché. Je ne sais pas très bien comment le désigner, cet attachement. Disons qu’ils ont été écrits davantage par la main de mon prénom que par celle de mon nom. Par la main qui plonge le plus loin au-dedans de moi, le plus loin dans le terrier intime qui me constitue, fait de galeries rassurantes, disponibles et inexplorées. C’est très précieux, ces choses-là. C’est même très émouvant. Geneviève, et Chloé ensuite, ont été les lectrices idéales de ce type de livre. Pour tout cela je les remercie en pensée chaque jour.

Christian Garcin vit près de Marseille, où il est né. Il a publié trois livres à l’EdL et plusieurs autres ailleurs (romans, poèmes, essais, nouvelles, carnets de route).

Ouvrir la porte – Nadja

C’est un peu délicat d’écrire à propos de ce qui se passe entre Geneviève et l’Ecole des Loisirs, j’ai des livres qui continuent leur vie dans cette maison d’édition, je continue à en faire publier d’autres. Mon livre « chien bleu » y a connu le jour, alors que ce n’était pas évident d’offrir aux enfants des peintures en guise d’illustrations. Mais tout ce que j’ai envie de dire, c’est que je pense sincèrement que si je n’avais pas rencontré Geneviève, qui était éditrice chez Gallimard, vers 1987, je n’aurais sans doute pas écrit de livres pour enfants. Je peux dire cela parce que je suis assez appréciée comme auteur, et c’est Geneviève qui m’a ouvert la porte. Mon premier livre avec elle, des devinettes à propos d’éléphants, était une sorte de chose improbable, j’avais fait des immenses dessins au pastel, ça ne racontait pas d’histoire, c’était bizarre en somme. Mais Geneviève, en magnifique guerrière, m’a assurée qu’il pouvait exister, m’a encouragée, et puis après, a bravé Pierre Marchand pour publier un autre livre , « vous jurez de dire la vérité, toute la vérité, sur votre classe de sixième », sorte de chronique écrite par mon fils de treize ans, et dont j’ai fait les illustrations, qui a reçu un succès immédiat, et puis ensuite, la série des « Momo », toutes ces choses bizarres que je n’osais pas croire possibles à publier. Je veux dire que cette façon qu’elle a de considérer ce que vous inventez, sans considération pour « ce qui se fait » ou « ne se fait pas », avec amour et enthousiasme,  curiosité et passion, est une sorte de vague qui vous entraîne à donner le meilleur, ouvre grand la porte vers ce qui vous sauve. Si l’on pense que l’art de raconter, de dessiner, de peindre, sert à quelque chose, c’est comme cela qu’il faut s’y prendre. Ce qui peut se passer quand on écrit et que l’écrit vous surprend vous-même, et qu’il peut exister et être lu, car une personne a décidé d’en faire un livre, car elle a senti qu’il était né quelque chose, voilà la magie. Merci Geneviève.

Suicidaires solaires – Fanny Chiarello

Mes personnages et moi, nous n’allons pas toujours bien. Nous avons tendance à envisager la mort comme un refuge, nous tenons le plus souvent à l’écart de ceux que nous refusons d’appeler nos semblables, maudissons trop bruyamment ceux qui font de cette planète un bouge à peine habitable, nous sentons invariablement seuls et inadaptés. Parfois, sauter du haut des constructions humaines nous serait d’un grand soulagement. Pourtant nous sommes toujours là. Parce que nous sommes des résistants malgré nous. Nous luttons avec l’opiniâtreté d’escargots, nous ne lâchons pas la ficelle, le fil de bave ténu qui nous tient rivés à la vie sur terre. Nous créons des coquilles respirables au sein du vaste monde et nous le faisons à base de mots : c’est notre truc à nous, nous générons des mondes meilleurs. J’y vois une démarche lumineuse. Nous sommes des suicidaires solaires.
Dans le roman qui devait s’appeler Lanke Trr Gll à L’école des loisirs et qui au Rouergue s’intitulera très bientôt La vitesse sur la peau, ma jeune narratrice, Elina, a perdu sa mère et le goût de la vie. Elle retrouve l’usage de la parole au terme d’un long parcours qui la voit revenir de parmi les plantes et se trouver une nouvelle place au milieu des humains. Mais elle ne se contente pas de parler, elle réinvente un langage sur mesure, qu’elle se taille dans la matière de la langue commune, un langage exigeant qui refuse les formules toutes faites et les questions rhétoriques. C’est un écrivain malgré elle.
Quant à moi, je suis l’auteur de dix-sept livres publiés ou à paraître très prochainement, ainsi que d’un nombre plus grand encore de chantiers romanesques non (encore) aboutis. Quand j’ai compris que l’aventure à L’école des loisirs était terminée pour moi – comme pour un grand nombre d’auteurs qui, pas plus que moi, ne conçoivent cette maison sans Geneviève ni Chloé, évidemment j’ai pleuré, contemplé le désastre, estimé les dégâts. Et puis je me suis dit que geindre, trépigner, menacer, ça ne servirait à rien, et je me suis demandé avec qui j’aurais envie de travailler désormais. Je n’ai pas eu à réfléchir, c’était évident. Je sens que de belles aventures m’attendent maintenant au Rouergue.
Ainsi, loin d’être les dépressifs pleurnichards que l’on pourrait hâtivement voir en nous, mes personnages et moi, ne sommes-nous pas des personnages positifs et entreprenants dans un monde complexe que menace l’obscurantisme ? Toutes choses qui devraient plaire à certain grand penseur de la littérature pour la jeunesse, mais non. Tant pis.

Ce texte est le deuxième post de Fanny Chiarello sur le blog La ficelle.

Une tarte à la crème – Alice Marchand

Nous les clowns, on connaît ça, le flop. C’est notre vie. On tombe et on se relève. On a l’habitude. On vit sur le fil du rasoir. C’est après le flop – grâce au flop – que vient le moment de grâce où on décolle. Où on se montre. Ridicules, mais si beaux. Si humains. Et les spectateurs rient aux larmes.

Alors je me dis que c’est juste une tarte à la crème. Envoyée par monsieur H. (monsieur Hache?), le surgé de l’École des Loisirs qui fait la leçon à ses élèves rebelles, ses auteurs à qui il réclame subitement “des héros positifs auxquels les lecteurs pourront s’identifier”. Je me dis que Geneviève Brisac a quitté la scène comme l’auguste Annie Fratellini, en brandissant un étendard qui disait NON. Je ris aux larmes. Continuer à lire … « Une tarte à la crème – Alice Marchand »

Une réponse au communiqué de l’Ecole des Loisirs

Ce courrier a été envoyé par mail le 19 mai au matin.

Paris, le 19 mai 2016

A l’attention de Monsieur Louis Delas et de Monsieur Jean-Louis Fabre

Messieurs,

Je ne souhaitais pas faire de réponse au dernier communiqué que vous nous avez envoyé, puis je me suis rendue compte que certaines personnes, dans l’entreprise, pouvaient s’interroger, et que des auteurs, par le simple fait qu’ils étaient listés, semblaient poussés à prendre parti.

Tout d’abord, nous, auteurs engagés sur La ficelle, n’avons pas pris la parole avec l’idée de couler le grand navire. Ce n’est pas notre désir et nous n’en avons pas les moyens. Il ne faut pas oublier que la fragilité est du côté des auteurs. Continuer à lire … « Une réponse au communiqué de l’Ecole des Loisirs »

Hélas, donc en avant – Thierry Guilabert

Un ami trop tôt disparu me répétait souvent lorsque le sort nous était contraire cette citation de l’admirable Vladimir Jankélévitch: « Hélas, donc en avant ». Ce n’était jamais dans sa bouche de la résignation mais au contraire de la résistance, le désir de se dresser et d’avancer malgré la maladie qui nous use ou les cons qui sont légions. Et pour faire le poids, concernant les fâcheux, je citais moi, Chateaubriand: « Économisons notre mépris eu égard du nombre de nécessiteux ».

Cette petite introduction éminemment culturelle pour signifier s’il en était besoin que la déception, la colère peuvent être des armes de création massive si elles ne sombrent pas dans le ressentiment. A ce propos, j’aime assez l’idée de Frédéric Faragorn d’une rencontre sur le pré avec l’Arthur.

L’ensemble des billets du blog posent un constat sur les nouvelles pratiques d’un éditeur, sur sa façon de nous abandonner sur le bord du chemin et sur l’absence de SPA (Société protectrice des auteurs) alors même que beaucoup d’entre nous sont ou seront demain à la recherche d’éditeurs adoptifs. Déjà certains répondent de petites lettres types que n’utilisaient pas Geneviève et Chloé, et l’on sait bien que ce qui passait par le chas de leur aiguille, si j’ose la formule, ne passe pas forcément ailleurs. Je n’ai croisé à ce jour aucun éditeur qui du haut de son piédestal entonnerait le : « Venez à moi petits auteurs délaissés, remerciés, assommés… » Ce serait trop simple.

Et néanmoins, depuis une certaine rupture de contrat avec l’Ecole des Loisirs, je ne me sens pas aussi abattu que je devrais l’être. La faute à qui, sans doute à une ficelle tenue par tout un aréopage d’auteurs parfois disgraciés mais jamais disgracieux, qui pour la première fois depuis ma lointaine île, me donne l’impression d’appartenir à une communauté très diverse dans ses écrits mais partageant sans nul doute de mêmes valeurs quant à l’édition, la littérature, la parole donnée et la parole reprise. Continuer à lire … « Hélas, donc en avant – Thierry Guilabert »