Devenir un Mensch, pas un poney – Agnès Debacker

À l’occasion de la publication de mon premier roman, je rencontre Geneviève Brisac et Chloé Mary, rue de Sèvre. Je suis émue et immensément reconnaissante.

Au détour de nos échanges, Geneviève et Chloé me signifient qu’elles ont hâte de me lire à nouveau. Je comprends alors que je ne suis pas juste en face d’elles parce que j’ai écrit un texte qui leur a plu, mais parce qu’à leurs yeux, je suis une auteure et que mon travail désormais, c’est d’écrire et le leur, de me suivre.

Whouahou! Quel bouleversement fantastique!

Devant mes hésitations, ma peur de m’y remettre (de décevoir, de ne pas y arriver…), elles me rassurent: « le deuxième est toujours plus difficile à écrire que le premier », et m’encouragent: « écrivez sur ce que vous voulez, conte, histoire contemporaine, tout est permis, tout est intéressant »…

Ainsi, entre nous, il n’a jamais été question de ligne à suivre ou de cahier des charges à respecter mais d’envie, d’art et d’expression.

Lorsque L’Ecole m’a publiée, mais il est plus juste de dire, Geneviève et Chloé, je n’ai cessé de clamer autour de moi: « si vous écrivez des textes pour la jeunesse, envoyez-les à L’École des Loisirs. Si Chloé et Geneviève en perçoivent la perle, le coeur, le ventre, alors il sera édité ». La perle, le coeur, le ventre, c’est-à-dire un texte sincère, libre, singulier. Un texte qui place l’intelligence du lecteur et l’expression artistique de l’auteur au-dessus de toute autre considération, commerciale notamment.

Mon deuxième roman en effet, fut plus difficile à écrire. Le désir était sans doute trop fort, mais peu importe, elles ne m’ont pas lâchée d’une semelle.

Pour le troisième, j’ai remisé mes états d’âme au placard.

J’étais devenue auteure, c’est-à-dire quelqu’un qui travaille, écrit, réécrit, jusqu’à trouver le bon ton, le bon mot, la bonne phrase, qui n’hésite pas à arracher sa copie et à recommencer encore et encore.

Elles l’ont aimé, elles avaient envie de l’éditer mais il n’en a pas été ainsi.

Arthur Hubschmid trouve mon histoire trop compliquée. Il pense qu’elle n’intéressera pas les enfants car il est convaincu que les enfants n’ont besoin que de super-héros à qui il arrive des aventures sympas, légères et rigolotes. Simples et simpliste. (Personnellement, j’appelle ce genre d’histoires, des histoires de poneys.)

Monsieur Hubschmid est convaincu de cela, parce que lui-même, quand il était enfant n’aimait que ce genre d’histoires. Quelle arrogance d’imaginer que ce qu’on aime est valable pour tous, quelle petitesse d’esprit. De plus, qui sur cette terre peut s’enorgueillir de savoir ce qui est bon pour les enfants? mais bon… revenons à elles.

Dans une interview qui se trouve sur le site de l’école, Geneviève explique que pour qu’une histoire soit intéressante, il faut qu’elle parle de politique, de mort et d’amour. Autant dire de la vie. Pas celle qu’on veut nous vendre, bêtement divertissante, faussement joyeuse, formatée à tous les étages, mais celle complexe, ambivalente, surprenante, triste et gaie à la fois. Cette vie qui se déploie au travers de livres exigeants et merveilleux. Ces livres grâce auxquels nous devenons des Mensch, c’est-à-dire des Hommes debout, affranchis et libres de penser par eux-mêmes.

Geneviève et Chloé ne m’ont pas transmis une ligne mais un trésor, un héritage précieux. Je le porte fièrement dans mon coeur et mon ventre.

Agnès Debacker a publié deux romans à l’Ecole des Loisirs dans la collection Mouche: Ma chère Alice et Le jour d’IgorQuand l’occasion présente, elle lit ses textes à voix haute accompagnée d’un musicien. Elle écrit aussi des spectacles pour le très jeune public au sein de la compagnie de la Minuscule Mécanique.

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